Chef d'oeuvre absolu à voir absolument dans la version en langue anglaise (malheureusement assez rare) plutôt que le calamiteux, voire nanardesque, doublage français, que Renoir renia avec raison.
Pourtant, Jacques Lourcelles (pour qui c'est "le chef d’œuvre absolu de Renoir [...] l'un de ces quelques films qui permettent de croire à la supériorité du cinéma sur tout les autres arts", rien que ça!) valide la VF, il y trouve les voix "plus variées, plus pittoresques, plus drôles, et si l'on peut dire plus "concrètes". Elles ajoutent à l'élégance et à l'ironie mesurée du dialogue un élément picaresque dont on ne peut plus se passer une fois qu'on l'a gouté"
Dans la lignée de French Cancan (que Renoir réalisera juste après), on a donc un pur film de spectacle et donc sur le spectacle lui-même, où le réal s’amuse à flouter les limites entre la scène et les coulisses, à intégrer des procédés théâtraux dans toute la mise en scène du film (une bagarre filmée derrière un paravent, un délicieux jeu de dissimulation/triangle amoureux…) tout en rappelant régulièrement au spectateur qu’il assiste à une représentation.
Et toute cette dimension est bien entendu ultra-ludique en soi, d’autant plus que Renoir profite de son parti pris pour créer quelque chose de visuellement splendide, où chaque plan apparaît comme un tableau composé, aidé par un sublime technicolor. Mais c’est aussi au coeur du propos du film qui explore lui-même la tension entre scène et vie réelle à travers ce personnage féminin interprété par Anna Magnani, partagée entre trois hommes et incapable de jouer les rôles qu’elle assume si aisément sur les planches. Le tout menant à une conclusion douce-amère du plus bel effet, tout aussi belle mais moins positive que l’explosion de couleurs de French Cancan.
Et tout cet axe mélodramatique fonctionne admirablement bien, principalement parce qu’on a des personnages très bien écrits, remplis de nuances - particulièrement celui du Vice-roi qui est peut-être le plus complexe et le plus attachant alors qu’il est du “mauvais côté” du spectre des classes que tisse le film. Personne n’est foncièrement bon ni foncièrement mauvais, même l’amant “idéal” de Camilla se comporte comme un gros bourrin qui pique une crise de jalousie dès qu’un autre homme la convoite. Et c’est un plaisir de voir tout ce petit monde intéragir, les persos principaux mais aussi toute la troupe de la commedia dell’arte, j’adore les films qui illustrent ce genre de microcosme.
Du coup c’est probablement mon Renoir préféré jusqu’ici.