[Entretien] Melaine/Ludovico : Double Focale


Par Ludovico - Le 24/02/2017

Depuis quelques mois Cinelounge est frappé d’un fléau : qu’on l’appelle « El famoso vision » , « Film : élitisme » ou bien encore «la crise de l’Ineffable » , elle est due à un seul membre devenu une figure « importante » sur Cinelounge : Melaine Meunier alias Melaine . Ne voulant ni tenter de faire une interview « vérité » où il devrait s’expliquer ni dresser un simple portrait via un enchaînement de question-réponse, j’ai proposé à Melaine, en tant « qu’ami virtuel » un entretien, un dialogue par mail qu’il a accepté. Ceci est donc le produit de cette discussion entre ami portant sur notre rapport au cinéma, et plus généralement à l’art.

Quelques remarques en préambule :

- Nous sommes conscients du caractère possiblement lourd et complaisant d'un entretien de ce genre, ainsi avons-nous essayé d'adopter une forme simple et légère (quitte à moins développer certaines réflexions).
- Nous n'avons pas pour objectif de convaincre mais simplement de faire part de nos différents questionnements. Ne pas voir dans nos propos une quelconque forme de prétention, et encore moins du sectarisme.
- Les sujets abordés nous sont venus naturellement, au fil de la conversation, sans préparation au préalable. Le côté "dialogue de comptoir" est donc parfaitement assumé.



Ludovico : Puisque cet entretien est dédié à notre rapport respectif au cinéma et à l'art en général, je pense qu'il faut d'abord y aller de notre petite description personnelle, je te laisse le soin de commencer : Qui es-tu? D'où viens-tu ? Que fais-tu ? et Quel est le dernier film que tu as vu ?

Melaine : Je pense aussi que c'est une bonne façon de commencer. Donc je m'appelle Melaine, je suis né en Ardèche en 1995 et y ai toujours vécu à l'exception de trois années passées à Grenoble entre 2013 et 2016. Pour autant, je ne suis pas un "ardéchois pure souche" étant donné que ma famille vient de Bretagne et de Normandie et que mes parents ont emménagé dans le département peu de temps  avant ma naissance. J'ai connu une enfance puis une adolescence assez mouvementées : plusieurs bouleversements familiaux, une phobie scolaire, une dépression... Mais tout cela appartient au passé et je considère aujourd'hui que les moments douloureux que j'ai pu vivre m'ont beaucoup apporté. En parallèle, je n'ai jamais connu de difficultés d'un point de vue purement scolaire, puisque j'ai obtenu un BAC ES sans trop d'efforts en 2013. Depuis, mon parcours est un peu chaotique : trois mois de FAC d'Histoire, un mois de FAC de philo, un service civique, de l'animation periscolaire, un BAFA, du bénévolat et de nombreux voyages en auto-stop. Actuellement je suis en préparation d'un nouveau voyage à travers la France au début du mois d'avril.

Ce n'est qu'à la fin de l'année 2014 que j'ai commencé à m'intéresser réellement au cinéma. J'aimais beaucoup ça étant petit (trois films marquants de mon enfance : Danse avec les loups de Kevin Costner, Robinson Crusoé de Thierry Chabbert et surtout Princesse Mononoké d'Hayao Miyazaki), mais c'est une passion qui m'est un peu passée -tout comme la lecture d'ailleurs- avant de revenir il y a deux ans. Le film déclencheur est sans doute Somewhere, de Sofia Coppola, qui m'a fait prendre conscience que le rythme d'un film pouvait être volontairement lent. Puis arriva Mommy, de Xavier Dolan, que je considère généralement comme le point de départ de ma cinéphilie. Je ne m'attendais pas à être aussi bouleversé par un film, moi qui ne jurais que par Tarantino et OSS 117 et qui croyais que le cinéma était avant tout affaire de divertissement et de drôlerie ! Ces deux films-là m'ont donc beaucoup interrogé et m'ont amené à m'intéresser à un autre type de cinéma que celui que je connaissais alors. J'ai commencé à lire des articles, à consulter des tops, et à fréquenter le forum cinéma de jeuxvideo.com (site que je connaissais déjà via les forums Football et FIFA), qui a été pour moi comme une ouverture sur un immense jardin d'Eden.

Le dernier film que j'ai vu au moment d'écrire ces lignes est Hitler, un film d'Allemagne, d'Hans-Jürgen Syberberg (un film allemand quasi-expérimental d'une durée de 7h, comme quoi, l'« intérêt pour un autre type de cinéma » dont je parlais plus haut m'a mené loin :hap: ).

Voilà pour ma petite présentation ! Du coup je me permets de te retourner l'appareil Jim : Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Que fais-tu ? Et quel est le dernier film que tu as vu ?

Ludovico : Comme tu le rappelles si bien, je m'appelle Jim, j'ai 19 ans et je suis actuellement étudiant à Rouen dans une prépa littéraire, avec spécialité cinéma, en 2ème année. Ca fait depuis peu que j'habite à Rouen (naturellement avant, j'habitais chez ma mère, dans un coin paumé à la frontière de la Seine-maritime et de l'Eure), ce qui me permet d'aller de plus en plus au cinéma (celui-ci étant à moins de 5 minutes à pieds de mon appartement). Aussi étrange que cela puisse paraître au premier abord, je me suis tourné vers des études littéraires après un Bac S spé maths  (par pur opportunisme ceci-dit)  presque uniquement pour l'enseignement pour le cinéma.

Tout comme toi, ma cinéphilie s'est déclarée vers 2013-2014, pendant ses longues vacances d'été où je passais mon temps à voir des films ; et même si quelques films vus auparavant m'avaient fait beaucoup d'effet (Kill Bill de Tarantino à mes 8 ans, puis Pulp Fiction et enfin Orange mécanique vers mes 12 ans, film qui a beaucoup marqué ma jeunesse, la VHS trônant sur l'étage de VHS/ DVD  de mon père à côté d'un concert d'AC/DC, tandis que ma mère détestait et déteste toujours ce film) et que je m'intéressais aux films d'horreurs, c'est en 2013 que j'ai pris ma plus grosse claque cinématographique, une révélation "je veux faire du cinéma" devant les films de David Lynch, en particulier Lost Highway, Mulholland Drive et Blue Velvet. C'est également vers ces années là que je me suis inscrit sur le forum de JVC, après avoir passé quelques temps à observer les discussions et à découvrir des réalisateurs (les noms de Yasujiro Ozu, Sion Sono, Terrence Malick, ou encore Jean-Luc Godard revenaient souvent à l'époque). Puis c'est ainsi que je me suis retrouvé sur Cinelounge, avec une folle envie de voir pleins de films qui m'étaient alors inconnus ou me paraissaient jusqu'alors inaccessibles (de par l'influence de la doxa ambiante "bouh cinéma d'auteur" et caetera qui a accompagné mes années collège/lycée).


Le fameux traitement Ludovico d’Orange Mécanique qui est à l’origine de mon pseudo.




Pour ce qui est du dernier film vu, il s'agit de La guerre des mondes de Steven Spielberg, film que je n'avais jamais osé regardé à cause de cet a-priori, débile, de "Steven Spielberg fait que des films pour la famille" , préjugé qui est resté très longtemps dans mon esprit, même après le visionnage de Munich (que je ne savais pas être de Spielberg à l'époque). J'ai adoré La guerre des mondes.

Notre cinéphilie, si je peux utiliser le "nous", a été aidée par notre découverte de JVC puis de Cinelounge, qu'est-ce que ça t'a apporté véritablement, outre d'entendre parler de films dont tu n'avais sans doute pas conscience qu'ils existent/puissent exister  ?  

Melaine : L'influence qu'a exercé le forum cinéma de JVC sur ma cinéphilie est considérable. J'ai retrouvé récemment un post qui est peut-être mon tout premier post sur le forum et dans lequel je déclare un peu innocemment que je n'ai jamais entendu parler de Mulholland Drive. Peu de temps après, je postais déjà mon premier top 50, qui comportait Mulholland Drive. Ce que m'a apporté ma fréquentation du forum, dans un premier temps, c'est une prise de conscience. Je me retrouve dans ce que tu dis concernant l'idée générale du « film d'auteur chiant » à laquelle je rajouterais le fameux « cinéphile élitiste ». Je n'ai jamais été du genre à faire rentrer les gens dans des cases, d'autant plus que mon père est passionné de cinéma et n'a rien d'un élitiste, mais j'avais tout de même la crainte d'un rapport au cinéma qui soit trop intellectuel, qui privilégie la réflexion au plaisir. Certains membres actifs du forum m'ont permis de me rendre compte que les deux pouvaient être conciliés et que l'on pouvait très bien prendre beaucoup de plaisir à regarder un «vieux film en noir et blanc ».

A la suite de cette première prise de conscience, le forum m'a permis de mieux connaître le cinéma et son histoire. Jusqu'au début de l'année 2016, tout ce que j'ai pu apprendre sur le cinéma provenait du forum, de CinéLounge et de Senscritique. Dans mon entourage, personne ne s'y intéressait réellement (sauf mon père, mais je le vois très rarement), il n'y avait donc qu'internet pour m'ouvrir à ce monde merveilleux.

A ce propos, j'ai écouté il y a quelques semaines une émission de radio très intéressante dans laquelle on retraçait l'histoire de la cinéphilie française, des jeunes turcs à l'apparition d'internet, au travers de différents témoignages (Partie I, Partie II). Je me suis dit, en entendant ça, que nous appartenions à une nouvelle génération de cinéphiles autodidactes. La démocratisation du cinéma s'est développée avec l'émergence des locations de cassettes vidéos dans les années 80 et 90, mais internet, en plus d'aller encore plus loin dans l'accessibilité des films, permet aussi une accessibilité des échanges et des discussions. C'est quelque chose qui me paraît absolument essentiel et qui me semble être le principal changement par rapport à la génération précédente. La cinéphilie a retrouvé l'aspect communautaire qu'elle avait un peu perdue il y a une trentaine d'années, mais n'est pas revenue pour autant à ce côté un peu bourgeois qui caractérisait les passionnés de la première moitié du siècle dernier. CineLounge, de par la diversité de ses profils de ses membres, symbolise bien cette idée-là. Cela-dit, je n'ai pas connu autre chose, donc je manque probablement de recul sur la situation.

Et toi Jim, que penses-tu de l'évolution de la cinéphilie ? D'ailleurs qu'est-ce qu'un cinéphile selon toi ?

Ludovico : J'ai une expérience similaire à la tienne concernant JVC et Cinelounge : c'était vraiment une occasion d'aller vers des choses inconnues, de se confronter à quelque chose de véritablement différent de ce que je regardais jusqu'alors (en majorité des blockbuster et des films d'horreurs ) . Il y avait vraiment une envie de voir autre chose qui, de fil en aiguille, m'a conduit vers Bergman, Lynch, Lars Von Trier et d'autres réalisateurs que l'on retrouvait déjà dans mon premier top 50 si je ne m'abuse. Et évidemment, internet à cela de merveilleux que l'on peut accéder à de nombreuses choses : des films bien sûr, mais aussi des entretiens, des interviews, des making-of… ce qui permet de se renseigner sur ce que l'on voit, et donc de pouvoir penser ce que l'on voit. Après je parle d'internet mais il y a bien sûr et autres ouvrages qui m'ont aiguillé dans ma cinéphilie (Les Cahiers du cinéma en tête , ainsi que Notes sur le cinématographe de Bresson et les quelques extraits que j'ai lu des Images de Deleuze). Ainsi, un cinéphile serait quelqu'un qui , bien sûr, aime le cinéma mais aime aussi le penser (car il ne peut y avoir de véritable relation avec quelque chose sans la pensée).

Après, tu parles du fait qu'internet a démocratisé le cinéma, en quelque sorte, cependant, ne trouves-tu pas qu'il reste quelques barrières ? Je pense notamment à ces trackers privés (comme KG ou Avistaz) où l'on trouve des films qui sont difficiles d'accès autrement, notamment en DVD/ bluray (je pense par exemple aux films de Terayama, assez vus sur CL mais qui n'ont pu l'être que par un accès à l'un de ces trackers) ? 

Melaine : Si, effectivement. Après personnellement je ne suis pas très à l'aise avec le maniement des différentes outils informatiques. Je me contente de me laisser porter par les possibilités que m'offre internet, et j'ai la chance d'être sur KG, donc j'ai du mal à mesurer l'impact des barrières dont tu parles, même si j'ai bien conscience qu'elles existent. En revanche, là où je remarque clairement les limites d'internet et de sites comme CineLounge, c'est que communauté peut vite rimer avec communautarisme. Ce que je veux dire par là, c'est que, quel que soit le domaine, on peut rapidement s'enfermer dans une forme d’auto-complaisance, en pensant que puisque sa communauté nous a presque tout appris, on n'a pas besoin d'aller voir ailleurs. Je pense que CineLounge est parvenu à conserver une grande ouverture et une certaine diversité, mais c'est moins le cas de Senscritique, dont le système d'éclaireurs tel qu'il est mis en place actuellement me semble très enfermant. On peut très bien limiter son utilisation du site à sa petite liste d'éclaireurs et se couper ainsi de toutes les possibilités de découvertes et de nouveautés qu'il offre (chose bien plus difficile sur CineLounge, étant donné que la page d'accueil est déjà totalement axée vers ces aspects-là). Ce communautarisme dont je parle est particulièrement visible sur JVC, puisque les préjugés sont légions, que ce soit par rapport à des sujets extérieurs au site ou entre les différents forums (le forum cinéma est globalement très peu apprécié sur le 18-25 par exemple). Mais ce n'est pas surprenant, c'est représentatif de la société dans laquelle on vit.

Ça n'a pas de rapport direct avec ce que j'ai écrit juste au-dessus, mais j'aurais aimé que tu développes davantage ce que tu as évoqué concernant la pensée, car c'est quelque chose qui est fréquemment source de débats entre nous deux et il me semble intéressant d'y revenir par le biais de cet entretien.

Ludovico : Je pense que face à une œuvre, quelle qu'elle soit,  il faut penser. Je te vois souvent parler de ton lien avec le film, ou avec l'auteur (commentaire souvent affilié à ta célèbre formule, dorénavant, de la "vision") or, pour qu'il y ait un lien, il faut qu'il y ait une pensée . Le cinéma est sans cesse quelque chose à remettre en question, ne serait-ce dans la simple appréciation d'un film : "Qu'est-ce qui m'a plu ou déplu lors du visionnage ?" C'est pour ça que l'excuse du "je débranche mon cerveau" ne tient pas , et ne pourra jamais tenir, parce qu'un tel défaut de pensée émerge d'un refus de voir le film en réalité, ou toute oeuvre. Tout comme la question de la sensibilité (autre thématique qui t'es chère) ne peut être abordée sans la question de la pensée, du "ce qu'est le cinéma, la littérature, la peinture ? " ou que sais-je encore, ce qui ne signifie pas pour autant que cela entrave la question du ressenti, que ça le met hors-jeu puisque le ressenti est lié également à la pensée, vouloir se réduire au "ressenti pur", à une telle chimère, est pour moi une illusion, et en quelque sorte aussi passer à côté de l'oeuvre.

Mais du coup, quel est ton rapport à la pensée, en particulier du cinéma ? Depuis fin 2015-début 2016 , tu as eu une sorte de "bouleversement cinéphilique" et qui a déclenché ce "changement de vision", que penses-tu de ta situation actuelle, de ta pensée actuelle ?

Melaine : J'ai du mal avec le « il faut » de ta première phrase. Pourquoi faudrait-il penser une œuvre ? Au nom de quoi ? Cela-dit, je crois être globalement du même point de vue que toi. J'ai souvent tendance à mettre en avant ma sensibilité et l'ineffabilité de mon rapport à l'art, mais paradoxalement je passe beaucoup de temps à me questionner et à nourrir ces questionnements. (par des lectures, notamment). Ma pensée ne cesse de s'affiner. Là où nos avis divergent, je crois, c'est que je ne vois pas la pensée comme une finalité mais plutôt comme une sorte de lien entre l'extérieur et l'intérieur. Comme si le cerveau était un traducteur. Ce qui est central pour moi, c'est l'intériorité, c'est là que se trouve l'essence-même de l'existence. La véritable présence au monde se situe au fond de nous-même, et l'art peut nous permettre d'y avoir accès. L'un des livres qui m'est le plus cher est Lettres à un jeune poète, ce recueil de lettres envoyées par Rainer Maria Rilke au jeune Franz Kappus au début du XXe siècle. La question de l'intériorité, que Rilke nomme « solitude » (dans la traduction de Claude Porcell du moins), revient très souvent. Voici un extrait qui me parle beaucoup :

« Les œuvres de l'art sont d'une solitude infinie, et rien ne permet moins de les atteindre que la critique. Seul l'amour parvient à les saisir, à les soutenir, et peut leur rendre justice. - Donnez toujours raison à vous-même et à votre sentiment, contre toute sorte de semblable discussion, commentaire ou introduction ; s'il s'avérait que vous aviez tout de même tort, le développement naturel de votre vie intérieure vous conduirait lentement, avec le temps, à d'autres perceptions. Laissez à vos jugements, sans la perturber, la calme évolution qui leur est propre et qui, comme tout progrès, doit venir des profondeurs intérieures et n'être pressée ni accélérée par rien. Tout n'est que porter à terme, puis mettre au monde. Laisser chaque impression et chaque germe de sentiment parvenir à maturité au fond de soi, dans l'obscurité, dans l'indicible, l'inconscient, l'inaccessible à l'entendement, et attendre avec une profonde humilité, une profonde patience, l'heure de l'accouchement d'une nouvelle clarté : vivre dans l'art, c'est cela, et cela seul : pour comprendre aussi bien que pour créer. »

Ça peut sembler égocentrique, mais à mon avis c'est tout l'inverse, dans la mesure où ce qui se trouve au fond de soi-même, c'est justement un espace infini, une forme d'Absolu selon Rilke, donc un détachement de l'ego. Ça rejoint aussi une phrase de Robert Bresson que j'aime beaucoup car à la fois extrêmement simple et très signifiante (à l'image de son cinéma) « Divination : ce nom, comment ne pas l'associer aux deux machines sublimes dont je me sers pour travailler ? Caméra et magnétophone, emmenez-moi loin de l'intelligence qui complique tout. ». Cet aphorisme symbolise à merveille mon rapport au cinéma : besoin de machines, besoin de travail (donc, par extension, besoin de penser) pour mener vers quelque chose qui dépasse la pensée, qui est plus puissant qu'elle, car moins limitant et moins « compliqué ».

Tout ce que je dis là, je ne l'aurais probablement jamais dit il y a un an. Comme tu l'as évoqué, 2016 a été pour moi une année de « bouleversement cinéphilique ». J'ai parlé plusieurs fois de « changement de vision du cinéma », de façon peut-être trop récurrente et, je le reconnais, souvent maladroite, si bien que c'est devenu running gag (la « famosa vision »). Pour autant, ces propos maladroits et ces changements de notes réguliers provenaient bel et ben d'un changement de vision, ou devrais-je dire d'un bouleversement profond dans ma façon d'appréhender le cinéma. Vu de l'extérieur, ça a pu paraître rapide et un peu insensé, ce que je comprends parfaitement, mais il faut savoir que ce n'est pas quelque chose de réellement voulu, je dirais même que ça m'est tombé dessus un peu par hasard : il y a eu un déclic, un film qui m'a fait l'effet d'une bombe et qui m'a amené à reconsidérer tout mon rapport au cinéma et à l'art en général.

Ce film, c'est Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni. Sur le coup, j'ai été pris dans le film de façon extrêmement puissante comme ça ne m'était encore jamais arrivé, mais c'est surtout avec le recul que je me suis rendu compte de l'effet qu'il avait eu sur moi. J'aurais bien du mal à l'exprimer, mais disons que j'ai eu l'impression que le film m'avait permis de toucher à une partie de moi extrêmement intime, d'atteindre mes « profondeurs intérieures » pour reprendre les mots de Rilke. C'est un peu comme si je venais de prendre conscience qu'une œuvre pouvait ne pas m'être tout à fait extérieure. Car finalement mon rapport avec la plupart des films que je considérais alors comme étant mes préférés reposaient avant tout sur une forme de contemplation, mais il n'y avait pas de lien fort entre eux et moi (je pense au cinéma de Refn, par exemple). C'était comme une sorte d'admiration ébahie.


Zabriskie Point : le coup de foudre



A partir de là, j'ai commencé à questionner cette prise de conscience, à tenter de la comprendre, de former une pensée qui puisse traduire au mieux ce qui m'était intérieur et qui me semblait alors très confus. Je me suis d'abord orienté vers d'autres films d'Antonioni, puis vers des cinéastes que je pensais à même de me toucher autant que l'italien. J'ai aussi commencé à lire sur le cinéma (puis à lire tout court : je m'étais éloigné de la Littérature depuis le collège et c'est avec beaucoup de plaisir que je m'y suis remis intensément). Je me rappelle d'une discussion avec Yorda qui m'a beaucoup apporté au printemps dernier. Je ne me souviens plus de ce qui avait été dit précisément, mais il m'avait parlé de l'évolution de sa sensibilité, un peu comme il l'avait fait dans l'interview que lui a consacré tadanobu. Et même si je ne m'y retrouvais pas tellement à l'époque, ça m'a travaillé et ça m'a permis d'éclaircir certaines choses.

Petit à petit, tout ça s'est affiné, grâce à mes lectures et à mes visionnages. En plus de Rilke déjà cité, deux personnalités furent particulièrement importantes pour moi : Robert Bresson et Andreï Tarkovski. A la fois par leur œuvre cinématographique, qui me touche profondément (je considère Quatre nuit d'un rêveur et Le Miroir comme étant mes deux films favoris à l'heure actuelle), et par leurs écrits. Le Temps Scellé, de Tarkovski, bien qu'assez imparfait, m'a vraiment aidé à préciser et étoffer mes réflexions sur le cinéma. Ces derniers mois, je me suis aussi beaucoup intéressé à la pensée de Serge Daney, dont je me sens très proche.

Donc contrairement à l'impression que j'ai pu donner ou même à ce que j'ai pu dire de façon plus ou moins maladroite, je ne jure pas que par mon « ressenti pur » (d'autant plus que je fais la distinction entre une émotion immédiate provoquée par la vision du film et une connexion forte entre le film et le spectateur, les deux n'allant pas toujours de pair), j'utilise aussi une grande partie de mon temps à penser mon rapport au cinéma -rapport que je remets en question constamment. Ma situation actuelle me semble bien plus claire qu'elle ne l'était il y a plusieurs mois lorsque je pataugeais en balançant « changement de vision » à tout va, mais je ne considère pas avoir atteint quelque chose ou me situer dans une position fixe. Je « laisse à mes jugements, sans la perturber, la calme évolution qui leur est propre ».

Il y a une autre personnalité influente dont je n'ai pas encore parlée, c'est Jean-Luc Godard. Je souhaitais conserver son nom pour la fin de ma réponse car je sais que c'est quelqu'un d'important pour toi et ton rapport au cinéma, et je m'étais dit qu'il serait intéressant de faire le lien entre toi et moi de cette façon. Ce que j'aime chez Godard, c'est la manière qu'il a de penser son cinéma sans ne jamais abandonner ce qu'il appelle l'émotion (que l'on pourrait élargir à la vie ou vitalité). En somme, il amène toujours à ressentir autant qu'à réfléchir, et je trouve ça assez admirable. Ça me ramène à ce que tu disais plus haut sur l'idée que le ressenti était forcément lié à la pensée. Je suis donc tenté de te demander : quel rapprochement fais-tu entre les deux ? Comment définirais-tu ton rapport au cinéma (et notamment au cinéma que tu aimes) ? Et quelle importance a pu avoir Godard dans l'évolution de ta pensée cinéphilique ?

Ludovico : Pour revenir sur ton objection, j'ai l'impression que penser est comme une sorte de devoir intrinsèque, quelque chose que nous devons faire pour nous accomplir pleinement. « Cogito ergo sum » comme dirait Descartes !  Mais je ne vais pas aller plus loin, ma pensée étant encore assez fébrile de ce point de vue .

Et oui comme je le disais, la pensée est liée au ressenti, en cela que je vois toujours un visionnage comme quelque chose d'actif (comme tu le penses j'imagine) et que de cette manière la façon dont se déroule le film change ou non la manière de l'appréhender (chaque photogramme rajouté étant une touche de plus sur le tableau si l'on peut dire, avec la force de pouvoir le renverser ou alors le  parachever, pour continuer la métaphore) et donc la manière de "ressentir le film" . C'est pour cela que j'accorde une attention particulière au mouvement dudit film, de la manière dont il se déploie, et donc à la toute puissance lorsque le film est terminé ; et je pense que cela se ressent beaucoup dans les films que j'aime. La majorité des films que j'adore sont ceux qui m'ont à la fois bouleversé "intellectuellement et émotionnellement" si l'on peut dire (bien que je ne fasse jamais la distinction véritablement) : je me souviendrais toujours de l'émerveillement et de la tétanie accompagnant le plan de fin de Possession de Zulawski, du "bouillonnement intérieur" face à Crash de David Cronenberg, Twin peaks Fire Walk With Me de David Lynch ou encore Week end de Godard. Par ailleurs, les films que j'aime en général me restent en tête longtemps ou du moins ne la quitte jamais réellement, et il suffit d'un rien pour que je repense au film et réalise que j'ai visiblement bien raison de l'aimer (histoire vraie : une fois en plein repas, j'ai "bugué" pendant une minute car je refaisais mentalement tout le cheminement d'A ma soeur !  de Catherine Breillat). Et  de même, au fil des réflexions, il m'est devenu plus aisé de définir en quoi un film ne me plaît pas, pourquoi je l'ai détesté ou pas : la démonstration, le côté pompeux voir démiurgique de certains films/réalisateurs, l’excès de symbolique peuvent me faire détester un film (tous ces termes correspondent par exemple aux films de Yorgos Lanthimos, le pire étant facilement Alps de ce point de vue).  

Pour ce qui est de mon rapport au cinéma et à l'approche que j'en ai, il y a une phrase de Manoel De Oliveira, un de tes réalisateurs préférés (à moins que ça ne change dans 4 mois) qui m'a permis d'éclaircir, ou du moins de donner matière à mes réflexions : « Ce que j’aime, c’est la clarté des signes alliée à leur profonde ambiguïté. C’est ce que j’aime en général au cinéma : une saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur absence d’explication. Voilà pourquoi je crois au cinéma. » (Manoel de Oliveira, cité par Alain Bergala dans Gilles Deleuze et les images), phrase que j'associe dans mon esprit toujours à Godard, sûrement depuis que j'ai lu son interview américaine pour la promotion de Sauve qui peut (la vie) où il revenait sur les ralentis saccadés lorsque Dutronc bondit sur Huppert : "pendant quelques instants, on ne peut plus dire s'ils se frappent ou s'embrassent" (traduction et citation approximatives)

Belle transition que voilà, Jean-Luc Godard est effectivement, en plus d'avoir réalisé certains de mes films préférés (Week End, 'Je vous salue, Marie', La Chinoise, Notre Musique entre autres), le réalisateur et penseur qui m'accompagne le plus fortement  dans mon parcours de cinéphile, aux côtés de David Lynch. J'ai découvert sa filmographie en 2014 avec Le Mépris, puis j'ai enchaîné quelques films jusqu’à avoir mon premier coup de coeur Godardien, La Chinoise. Et depuis je me suis intéressé à sa manière d'appréhender le cinéma, en écoutant beaucoup d'interview et en regardant ses films, et ça m'a beaucoup aidé à définir non seulement ce qu'était pour moi le cinéma, mais également ce que je voulais faire et être, presque naïvement comme une sorte d'idéal, ce qui se ressent peut-être (beaucoup ?) dans mon court-métrage. Et puisque j'en arrive là, et que toi aussi tu as fait des films, comment t'est venue l'idée de tourner quelque chose, de faire du cinéma ? Et quel regard portes-tu sur ces films réalisés pour la plupart avant le "changement de vision" ?

Melaine : Le regard que je porte sur ces films est très simple : je les renie. :hap:
Plus sérieusement, je ne souhaite pas spécialement en parler, car je regrette un peu de les avoir partagés (ils ne sont d'ailleurs plus sur CL ni même sur Youtube). Ces court-métrages sont plus des sortes de vidéos souvenirs réalisées à la va-vite que de véritables films de cinéma tels que j'aimerais en faire (en disant ça, j'ai bien conscience que les vidéos souvenirs peuvent tout de même être considérées comme des films, on pourrait lancer un débat sur la nature cinématographiques et artistique de ce genre de vidéos, mais ça nous mènerait trop loin pour le moment, je crois).

Cela-dit, ça m'a au moins permis de m'exercer au montage et de mettre le doigt sur ce que j'avais envie de faire. Car comme tu l'as évoqué, j'ai envie de « faire du cinéma ». Enfin, je n'aime pas vraiment l'idée de vouloir « faire du cinéma », je préfère dire que j'ai envie de filmer, de capter la vie, de mettre en images mon regard sur le monde… J'ai parfois l'impression que nombre de cinéastes contemporains ne regardent pas le monde. Ils regardent des films, baignent dans le cinéma et reproduisent ensuite ce qu'ils ont appris, en y apportant parfois une ou deux nouveautés. Mais ces gens-là puisent davantage leur inspiration de ce qu'ils ont vu dans les films (et dans les milliers d'images qui défilent sous nous yeux tous les jours) que dans la vie. Ce n'est pas ce qui m'intéresse. Il est évident qu'en tant que cinéphile j'ai des références, des influences (et des exigences), mais je préfère les percevoir comme des ponts vers mon propre imaginaire que comme des modèles. Lorsque je vois un film de Franco Piavoli, par exemple (en particulier Voci nel tempo), je me dis que c'est très proche de ce que j'aimerais faire, mais pas que j'aimerais faire comme lui. C'est-à-dire qu'il me renvoie à mon propre idéal de cinéma.

L'idée de filmer m'est venue très rapidement. A partir du moment où j'ai commencé à aimer voir du cinéma, j'ai eu envie d'en faire. D'ailleurs j'ai commencé à prendre des photos à peu près à cette période-là, avec mon téléphone. Ma passion pour le cinéma a beaucoup nourri mon intérêt pour la photographie, et je crois que l'inverse est vrai aussi. De toute façon ce sont deux arts très liés. Il y a une citation de Mario Giacomelli, l'un de mes photographes favoris, qui semble parler à la fois de la photographie et du cinéma, et peut-être même de l'union des deux : « Chaque image est un instant, chaque instant est comme une respiration, la respiration d'avant n'est pas plus importante que celle d'après, elles se suivent jusqu'au moment où tout s'arrêtera. Combien de fois avons-nous respiré ce soir ? Pouvons-nous dire qu'une respiration a été plus belle que l'autre ? Mais l'ensemble de toutes fait la vie. ».


Photographie de Mario Giacomelli



L'image a toujours joué un rôle important dans ma vie. D'un point de vue symbolique : l'image que l'on a des choses, l'image que l'on renvoie, l'imaginaire, etc. mais aussi d'un point de vue artistique, donc. Avant que je m'intéresse au cinéma et à la photographie, j'aimais beaucoup le dessin. Je dessinais régulièrement étant petit, puis c'est une activité que j'ai abandonné avec le temps. Mon dernier dessin doit dater d'un ou deux ans, c'est celui-ci je crois. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours eu besoin de créer, et j'ai la conviction d'avoir trouvé dans le cinéma l'outil qui convient le mieux. Reste à savoir quelle forme cela va prendre…

De ton coté, tu as partagé récemment ton premier court-métrage, Art ist Tot, à la communauté de CL. Je dois dire que je l'ai trouvé assez imparfait, mais il y a quelque chose qui m'a particulièrement touché, c'est la sincérité et l'authenticité qui s'en dégage. Je parlais plus haut de trop plein d'influences dans le cinéma contemporain, et je trouve justement que ton film a une identité propre. Bien sur, il y a du Godard, du Lynch, du Grandrieux… mais ils sont là comme des parties de toi, comme sortis de ton intériorité plus que de la leur, et le film semble provenir avant tout de ton propre regard sur le monde. Comment perçois-tu ça ? D'où provient l'idée du film ? Quand et où est-il né ?

Ludovico : Je suis pas totalement d'accord quand tu sembles faire la distinction entre des cinéastes qui s'inspirent du cinéma (avec un côté incestueux  qui pourrait rappeler Maps to the stars de David Cronenberg)  et ceux qui s'inspirent de ce qui les entoure, de la Vie comme tu aimes si bien l'appeler, ou du moins, j'ai toujours l'impression que tous les "grands cinéastes" savent jongler avec cet équilibre entre deux pôles apparemment différent (même si après tout, quand un cinéaste balance ses inspiration, il reste toujours ce qui tient du pro-filmique, de la Vie -si on la défini comme une sorte d'état de pureté). Après, la notion de  Vie que tu utilises m'a toujours parue plus ou moins étrange et difficile à cerner. Et par ailleurs, l'idée de ne capter que "la Vie", ce quelque chose qui te ramène à ton propre imaginaire me semble un peu illusoire puisque notre imaginaire est non seulement constitué par ce qui nous entoure, du monde que l'on perçoit, mais également par les "images" que nous avons intégrées, assimilés. Ainsi, quand par exemple je filme une route la nuit, je pense forcément à Lynch tout comme lorsque je vois le soleil à travers des feuilles d'arbres je pense à Malick. Ces visions se superposent toujours à ce que l'on voit en premier ("juste" une route ou le soleil à travers des feuilles d'arbres).


Lost Highway, de David Lynch


Pour ce qui est d'Art ist tot, tu parles d'une identité propre et c'est là toute la question de l'équilibre qui se pose : comment ne pas se faire annihiler par ce qu'on a inscrit en nous. Et je pense que c'est en intégrant, en assumant cet héritage que l'on peut construire quelque chose. Je ne dis pas que je me suis dépêtrer de cette question de manière instinctive et simple, comme s'il suffit d'un revers de main pour que "l'identité du film" se révèle sous la couche Godardienne  même si elle plane depuis le début du projet, projet que j'ai commencé lors de mon arrivée en prépa, en 2015 . Suite à différentes découvertes artistiques/philosophiques (Aristote, les films de Godard, le free jazz et la musique industrielle)  et humaines (la rencontre avec mon meilleur ami, cinéphile et également "godardien", qui se fait appeler sur Cinelounge cinemartic), j'avais envie de rebondir sur mon premier échec de cinéma, une fiction que j'avais appelé Vive la fête (6h33),  un truc très naïf sur un braquage lors d'une soirée étudiante filmé en DV (mes influences Korinienne sans aucun doute).

Je me suis naturellement retrouvé à filmer différentes choses de la vie de tous les jours (au cours de promenade en centre-ville par exemple), en évitant de "filmer comme la Police" comme le dirait Godard, sans pour autant avoir une idée précise de ce que je voulais en faire : pour l'instant je stockais ça sur mon disque dur et « on verra plus tard ». Puis vint la trouvaille du titre lors d'un cours d'allemand autours de la boutade "Aristote, Art ist tot !" qui a débouché sur l'idée de faire quelque chose sur "la mort de l'art ". J'ai continué pendant 6 mois jusqu’à ce que, d'abord la rencontre avec différents artistes (Aurore "Rapport 1984" Gosalbo et Nathanaëlle "Ellah A.Thaun" Hauguel") puis mon voyage en Sicile, organisé par ma prépa, définissent plus clairement les contours de ce film, avec tout le rapport ambigu que l'on entretient avec l'art et également le sacré, qui est présent partout en Sicile de par la présence mutuelle des influences grecques (les temples) mais également chrétiennes.

Et après ce voyage, plus rien. J'avais beaucoup de rush mais je voulais continuer à emmagasiner, je n'étais pas prêt, c'était encore balbutiant. J'ai donc continué pendant plusieurs mois, à capter tout ce que je pouvais capter avant de me lancer véritablement dans le montage début janvier, avec 6h30 de rush de toute sorte (extrait de concert, vidéo de Sicile, travelling en voiture alors que ma mère m'emmenait faire des courses, making-of d'exercice de réalisation pour la prépa etc). Je pense par ailleurs que, plus que le sentiment "d'inabouti", c'était la peur de l'échec qui me paralysait et notamment une phrase de Bresson, citée de tête donc inexacte "Un ensemble de bonnes images peut donner un objet détestable". J'avais conscience qu'il y a avait un équilibre dur à trouver, que je plaçais d'entrée de jeu mon film dans une mauvaise position  (l'intro méta où mon meilleur ami me demande "mais quand arrive ton film ?", la peur d'une posture simpliste et cynique qui tiendrait juste dans la formule "l'art est mort", le risque de faire du "Godard du pauvre" ou juste de copier bêtement le cinéma que j'aime) et donc il fallait un travail rigoureux et qui avait besoin de temps : même si c'était quelque chose qui n'était pas dans une nécessité extérieure (je n'avais pas de pression pour sortir le film, pas de deadline ou quoi que ce soit), je ne pouvais le sortir avant de produire (au sens de poiesis) quelque chose qui soit bien (et je pense que c'est quelque chose que tu as ressenti aussi lorsque tu travaillais sur tes court-métrages). Le plus étrange dans tout cela est que le montage a été extrêmement rapide (6h, au cours d'un week-end), comme si toute la réflexion préalable facilitait le cheminement vers ce qui est maintenant Art ist tot, qui ne me conviendra peut-être plus dans quelques années mais qui me satisfait en ce moment même, sans pour autant que je le trouve sans défauts (il y a quelques cuts un peu maladroit et quelques "effets", comme l'apparition du Lumière).


Un des premiers plan tourné en Sicile pour Art ist tot



Toutefois tu évoques le fait que "Quoi qu'il en soit, j'ai toujours eu besoin de créer, et j'ai la conviction d'avoir trouvé dans le cinéma l'outil qui convient le mieux. Reste à savoir quelle forme cela va prendre… " Pourtant, la dernière fois tu me parlais d'un projet de documentaire à travers la France. Est-ce que tu penses que le documentaire est la forme la plus apte pour t'exprimer / exprimer, tout simplement, quelque chose ? Par ailleurs, tu m'avais parlé d'un film de Jean Rouch comme un film "qui t'inspirait et te donnait envie de créer", quel est donc ton rapport à l'inspiration : est-elle une "donnée" de ton travail ou alors simplement un point de départ pour aller vers quelque chose de différent ?  

Melaine : A propos de l'inspiration, je ne crois pas que nos avis soient forcément contradictoires à vrai dire, puisque je suis d'accord avec ce que tu dis. Le cœur de la question se situerait alors dans la conscience que l'on a du monde. Qu'est-ce qui relève de l'"imaginaire collectif", et qu'est-ce qui est véritable ? Nous sommes tellement abreuvés d'images qu'il devient parfois difficile de faire la différence. Comme tu le dis, et je suis du même avis que toi, toutes ces images participent à la constitution de notre propre perception. Ce que je déplore, c'est la tendance actuelle du cinéma (et encore plus des séries -dont nous n'avons d'ailleurs pas encore parlé) à se noyer dans cet imaginaire collectif et à perdre de vue ce qui tient de la vie. En parlant de ça, j'aurais bien du mal à définir le terme de "vie". tel qu'il m'est arrivé de l'employer. Tu dis qu'il est étrange et difficile à cerner, et je pense que c'est justement comme ça que je la voie. On pourrait faire le lien avec la citation d'Oliveira que tu as partagée plus haut et dire que la vie est « la clarté des signes alliée à leur profonde ambiguïté ». Mais j'ai bien conscience que le terme reste flou et peut difficilement tenir dans une discussion argumentée.

Concernant mon projet de film, je ne souhaite pas trop m'étendre car tout n'est pas encore très clair pour moi, je vais donc m'en tenir aux contours. Très simplement, mon idée est de parcourir la France en auto-stop et de capter son état actuel. Je résume, évidemment, j'ai quand même une idée bien plus précise de ce que j'aimerais faire (et ne pas faire), mais je préfère m'en tenir à cette description-là pour le moment. Si j'arrive à le mener à bout et à faire un film qui me convient, je le partagerai à la communauté de CineLounge. Mais nous n'en sommes pas encore là…

Je ne sais pas si le documentaire est la forme la plus appropriée pour m'exprimer. J'ai aussi des idées de films plus "narratifs" mais leur réalisation n'est pas d'actualité pour le moment. De toute façon, je n'aime pas tracer une frontière entre le documentaire et la fiction, je pense que les deux aspects peuvent se mêler et se mêlent bien souvent. Lorsque je parle de mon projet, je dis que je vais réaliser un film, pas un documentaire. Pour répondre à ta question, si j'utilise une forme "documentaire", c'est car je souhaite laisser la parole à l'autre. Si les choses se font telles que j'aimerais qu'elles se fassent, la parole et l'autre seront les motifs centraux du film. Je rajouterais un troisième terme, qui pourrait à la fois réunir les deux premiers et justifier à lui seul le choix de la forme "documentaire", c'est l'écoute. Être à l'écoute de la parole de l'autre… Beau projet n'est-ce pas ?

Quant à Jean Rouch, il m'inspire dans la mesure où sa Chronique d'un été est vraiment très proche de ce à quoi j'aspire. Mais je ne considère pas ce film comme un point de départ étant donné que mon projet était déjà là bien avant que je ne le vois. C'est comme s'il m'avait confirmé que mon idée était bonne et qu'on pouvait en tirer quelque chose de profond. A la base, je n'avais vraiment aucun "film référence". La plupart de ceux que je cite comme étant des influences ont été découverts par la suite, alors que je cherchais des travaux plus ou moins similaires pour me positionner et clarifier mes intentions.

Finalement, j'en ai déjà dévoilé plus que prévu !

Ludovico : Lorsque tu évoques la propension du cinéma actuel et des séries "à se noyer dans cet imaginaire collectif", est-ce que cela ne tient pas plutôt d'une tendance de fond liée à une certaine nostalgie, une volonté de "recycler" les choses (comme l'esthétique 80's qui revient non seulement à travers la musique et le courant synthwave mais également au cinéma / dans l'audiovisuel avec des films tels Kung Fury, dans une certaine mesure Drive, ou dans la série Stranger things)  ?  J'ai l'impression que ça tient plutôt de cela, même si je vois pas forcément quelque chose de foncièrement négatif dans cette approche. Le fait de s'approprier certains tics, codes d'une autre époque fait parti depuis longtemps du "système" si l'on peut dire (comme par exemple les films néo-noir qui repiquent l'esthétique des films américains des années 40/50)  et que, comme n'importe quel phénomène, il y a du bon et du moins bon. Le tout tient, comme à l'accoutumée, de ce qu'on fait de ce bagage culturel pour qu'en sorte une "oeuvre intéressante" : en  proposant une réflexion sur la nostalgie (je pense de prime abord à Star Wars 7) sur les archétypes même (comme chez Nicolas Winding Refn ) ou encore une autre vision tout simplement de la chose (avec par exemple le cas des deux Scarface, bien que cela date d'il y a quelques décennies, qui déplace la figure du gangster d'une époque à une autre). Qu'en penses-tu ? 

Melaine : Je pense effectivement qu'il y a une tendance à la nostalgie, qui dépasse largement le cadre du cinéma. C'est un sujet passionnant mais à mon avis très complexe, puisque ça tient à une sorte d'"état psychologique mondial" -ou du moins occidental- qui tire sa source au début du XIXe siècle, si ce n'est plus tôt encore. Difficile d'en parler ici car c'est un sujet que toi et moi sommes très loin de maîtriser, en plus de baigner dedans depuis notre naissance (ce qui limite fortement notre prise de recul). De façon vulgarisatrice et probablement simpliste, je dirais que le cœur du « problème » se situe, selon moi, dans l'incapacité que l'on a à vivre au présent (à faire acte de présence). Ce que nous faisons, et même ce que nous pensons, est presque toujours dirigé vers l'avenir. Même le système fonctionne comme ça (la fameuse "réussite à l'américaine"). Mais aujourd'hui l'avenir est trouble, incertain, et fait naître en nous une grande peur. Ainsi nous rabattons-nous sur le passé, plus cadré, plus confortable. Mais c'est une fuite. Nous fuyons ce qui est vivant en nous, car nous ne savons pas l'écouter. Nous nous réfugions dans le futur (« dans le futur, je suis libre parce que ça n'existe pas encore », entend-on au début de The House, de Sharunas Bartas) et quand celui-ci devient tout aussi difficile à comprendre que le présent, nous retournons vers le passé, comme c'est le cas actuellement.

Je crois en la capacité du cinéma à offrir la possibilité au spectateur d'être présent au monde. Je pense même que c'est là que se situe son sens profond. De part sa propension à fixer le temps, à capturer le présent et à le rendre intemporel (voire immortel), le cinéma peut ouvrir cette conscience-là, si essentielle à notre monde. Nombreux sont les cinéastes illustrant à merveille cette idée, d'Antonioni (« L'unité de l'œuvre d'Antonioni, c'est la confrontation du corps-personnage avec sa lassitude et son passé, et du cerveau-couleur avec toutes ses potentialités futures, mais les deux composant un seul et même monde, le nôtre, ses espoirs et son désespoir », Gilles Deleuze dans L'Image-temps) à Ozu, en passant par Weerasethakul ou encore, évidemment, Tarkovski (« L'image est cinématographique si elle vit dans le temps et si le temps vit en elle, dès le premier plan tourné », dit-il dans Le Temps Scellé). Il me vient aussi à l'esprit le Céline de Brisseau, qui évoque le sujet de façon très directe, presque frontalement (tout en conservant une grande part de mystère -c'est peut-être là toute la force du film). Puis James Benning, forcément. Il est, à ma connaissance, celui qui est allé le plus loin dans la recherche d'une présence au monde par le biais du cinéma. Tous ces auteurs-là et tous ces films-là (et bien d'autres que je n'ai pas cités) me semblent essentiels aujourd'hui.


Céline de Jean-Claude Brisseau



Bon, je n'ai pas tout à fait répondu à ta question du coup… Je ne crois pas qu'il soit forcément néfaste de regarder vers le passé, encore faut-il le faire en conscience et dans l'idée de nourrir ce qui est présent (en ce sens, je trouve des films comme Drive ou Mad Max : Fury Road déjà bien plus réussis que Star Wars VII ou Kung Fury, bien qu'ils me plaisent moyennement).

Toujours sur le sujet de la présence au monde, je pense aussi à la notion de "divertissement", et à l'éternel débat sur la place qu'il peut occuper ou ne pas occuper dans l'art. Quelle est ton opinion sur la question ? Et comment définirais-tu le divertissement ?

Ludovico : La notion de  "divertissement" est ambiguë lorsqu'elle est utilisée pour parler d'une oeuvre d'art de par le côté restrictif qu'on lui assigne : lorsque quelqu'un par exemple parle des films de Carpenter, au hasard They Live ou Ghosts of Mars, comme "divertissants", il y a là une sorte de réduction de l'oeuvre, comme si on ne gardait que la partie "spectacle" et qu'on jetait le reste  (la satire politique sur le consumérisme dans They Live, et la réflexion sur le mythe de l’Amérique, son histoire dans Ghosts of Mars), ce qui est quelque chose qui ne me convient pas puisque je trouve dommage d'observer une oeuvre à travers un seul prisme (celui ici du fun, de l'entertainement). Il y a également un côté dilettante dans le divertissement, comme si l'art n'était qu'un passe-temps justement, quelque chose qui nous sert juste à décompresser (le nombre de fois que j'entends encore, et je pense que c'est aussi le cas de ton côté, malheureusement, que "c'est un bon film du moment qu'on pose son cerveau, ça se regarde !" ) comme si l'art ne devait être pris au sérieux par rapport à d'autres occupations. Cette notion me paraît donc inappropriée, de prime abord, pour parler d'art, d'autant plus si comme toi, on voit l'art comme une manière d'être présent au monde, le divertissement se révèle être tout l'inverse selon la logique Pascalienne. 

Et en même temps, l'art à cela de particulier qu'il est un lieu qui à la fois nous éloigne de notre "quotidien" si on veut mais qu'en même temps il nous rapproche du monde auquel nous sommes présents, comme dirait Heidegger. Lorsque je vais à un concert, il y a toujours un moment où je suis perdu, les yeux dans le vide (ou fermé, c'est selon), comme en sorte de transe, de connexion avec "ce qui est présent" pour reprendre tes mots. C'est un phénomène qui m'arrive de plus en plus dans les concerts de musique noise/industriel, comme si  les rythmiques répétitives, le côté abrutissant/exténuant de certains sons et nappes sonores étaient propices à ce genre d'introspection. Un exemple, bien que ce ne soit pas de la noise, de musiques qui me font justement cet effet : Autechre : irlite get 0 ou Bérangère Maximin : Knitting in the air. Ces moments sont très précieux de par l'impression de toucher à un quelque chose d'essentiel , que je peux retrouver au cinéma (dans  Possession  par exemple, ou  Spring Breakers d'Harmony Korine, un film important pour nous deux dont nous n'avons pas encore parlé).

Dès lors, j'ai l'impression que le divertissement fait en quelque sorte parti de l'art, que c'est quelque chose avec lequel on doit faire, que "c'est notre lot à tous", et que le danger de l'art est de ne pouvoir se réduire qu'a ça, notamment lorsque l'art est lié avec une industrie, comme c'est le cas pour le cinéma ou la musique (les deux arts auxquels j'ai le plus de rapport, avec la littérature et la philosophie).

Melaine : Je pense être d'accord avec ce que tu dis. Je rajouterais qu'il y a dans la musique et dans le cinéma quelque chose que l'on ne retrouve pas dans les autres arts (à l'exception du théâtre, mais il est bien moins populaire), c'est la notion de spectacle. Rien que l'idée de proposer un spectacle crée déjà une ambiguïté. Je pense qu'on peut dire de cinéastes comme Hitchcock ou Eisenstein, ayant placé le rapport avec le spectateur au centre de leur œuvre, qu'ils cherchaient à divertir celui-ci, ou du moins à lui procurer des sensations qui le sortent de ses habitudes. Mais on peut légitimement penser que ces mêmes sensations peuvent au contraire mener à une conscience des choses. Fenêtre sur cour, c'est le spectateur confronté à ses propres désirs. C'est un film qui "divertit" autant qu'il questionne sur le divertissement.

Ça me fait penser à un adage très courant : « ce film m'a fait rêver ». Qu'est-ce que le rêve sinon un espace dans lequel on s'extirpe du réel tout en y étant pleinement rattaché ? Le rêve a quelque chose de très cinématographique. Tu parlais plus haut de Spring Breakers, et je trouve l'exemple particulièrement pertinent puisque le film tend à s'approcher d'une forme d'onirisme tout en étant très proche de ce qu'on appelle le naturalisme. On se retrouve embarqué dans quelque chose d'aérien, évasif, "divertissant"... mais en ayant toujours un lien très fort avec le réel, notamment parce que les quatre filles vivent ce qui leur arrive. Lorsque j'ai revu le film il y a deux ou trois semaines, c'est aspect-là qui m'a particulièrement touché : j'ai ressenti la présence de ces filles, j'ai eu accès -avec pudeur et sans artifice- à leurs tourments intérieurs. Et mon rapport à elles a été d'autant plus empathique que le sujet-même (ou devrais-je dire l'un des motifs importants) du film est la volonté de vivre dans l'instant tout en étant complètement aspiré par le futur. Il y a dans Spring Breakers une perte des repères temporels que je trouve très révélatrice de l'état du monde (et par extension du cinéma) contemporain, et c'est l'une des raisons pour laquelle je le considère comme étant un film essentiel de notre époque.

Bref, je pourrais parler longtemps de Spring Breakers car c'est un film qui m'est très cher et que je commence, à force de le voir et le revoir, à bien connaître. Mais je me suis un peu éloigné de ce que nous disions sur le divertissement… Je pense que, par rapport à cette histoire de rêve, nous pourrions faire un lien avec le surréalisme. Mais il se trouve que c'est un mouvement que je connais très superficiellement. Peut-être en sais-tu davantage sur la question ?


Spring Breakers d'Harmony Korine, un film important pour nous deux .



Ludovico : Hélas , je ne m'y connais pas plus que toi sur le surréalisme, en tout cas  dans le cadre du cinéma (en dehors du Chien Andalou de Bunuel et des quelques films de Jodorowksy que j'ai vus). Toutefois, lorsque tu évoques le fait que Spring Breakers peut s'apparenter à du naturalisme, cela me rappelle la définition du naturalisme selon Deleuze : la jonction de deux mondes, un monde originel et un monde dérivé. Et je pense qu'il y a de cela dans le film de Korine avec, et c'est ça qui est fascinant, comme un monde dérivé de MTV, comme si la télé était intimement liée au fantasme (idée quelque peu Cronenbergienne). Et cela rejoint ce que l'on disait à propos de ces images que nous emmagasinons et qui fabriquent notre imaginaire. 

Mais puisqu'on en est là, que penses-tu de la télé et de ce qui y est apparenté comme les séries ? Nous sommes tous les deux nés à une période où la télé a complètement envahi notre quotidien, personnellement je n'ai jamais eu aussi peu de téléviseur  dans le lieu où je vis  depuis que j'ai mon appartement (une seule télé, qui n'est pas connectée  au câble  et me sert seulement à regarder des films sur mon bluray ou jouer à la console) et  il n'empêche que c'est devenu un objet qui m'est familier et qui est resté pendant longtemps mon réservoir d'imaginaire principal, autant par les films qui passaient sur Canal sat que par les sitcoms/feuilletons, séries et autres "émissions de divertissement". J'ai l'impression que depuis quelques temps, son lien avec le cinéma devient de plus en plus fort même s'il existait auparavant (pas besoin de rappeler les aventures télévisuelles de David Lynch, Ingmar Bergman ou Maurice Pialat) : de véritables sagas cross-media se mettent en place (le MCU), les séries cherchent à se faire "plus cinéma", à obtenir  une certaine légitimité par une réalisation plus léchée (la "mode" du plan-séquence)  ou des références évidentes au cinéma et à la pop-culture (Strangers Things qui reprend l'esthétique 80's dont je parlais tout à l'heure) tandis qu'une certaine partie du cinéma tend à s'inspirer du monde de la télé (avec notamment de plus en plus de films de cinéma qui ne sont rien de moins que des "téléfilms", des films avec une esthétique directement pompée des canons de la télévision actuelle, tel Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?). Que pense-tu de cet état où l'on veut abolir les frontières entre ce qui tient du cinéma et ce qui tient de la télé ? 

Melaine : La question du rapport entre le cinéma et la télévision est loin d'être neuve. Elle existe même depuis le début, c'est-à-dire l'arrivée de la télévision au sein des foyers occidentaux dans les années 50. Dès les années 70 (voire avant), un clivage fort s'est créé, et le fossé n'a cessé de se creuser. Pour moi, l'une des principales causes de la baisse du niveau culturel français est non pas la télévision en elle-même mais l'incapacité du milieu du cinéma à utiliser, et même à comprendre, ce nouveau format. Très vite, beaucoup de cinéastes ont tiré à boulets rouges sur la télé, sans jamais tenter de l’apprivoiser. Le premier -et l'un des seuls- à le faire à été Rossellini : ses téléfilms ont été fustigés. Peut-être à raison, je ne sais pas (je n'ai encore vu aucun Rossellini de cette période-là), mais là n'est pas la question : n'aurait-il pas fallu encourager au moins la démarche ? Je crois que la dureté des propos de nombreux critiques et cinéastes à l'encontre de la télévision a participé au rejet de plus en plus fort de la culture par les "classes populaires". Un clivage s'est créé, et le peuple a choisi la télévision, car plus familière, plus accessible. C'est un choix parfaitement logique d'ailleurs, les véritables fautifs dans l'histoire sont les intellectuels méprisants qui ont cru bon de se placer au-dessus des préoccupations futiles de la "populace" plutôt que d'essayer de les comprendre et de créer un dialogue (dialogue qui existait pourtant à la sortie de la guerre, il suffit de voir Chronique d'un été pour s'en rendre compte).

Mais à l'heure actuelle il y a un nouveau critère à prendre en considération, et pas des moindre : internet. Tu dis que la télé n'a jamais eu autant d'impact qu'aujourd'hui, mais je ne suis pas tout à fait d'accord. Je pense au contraire qu'elle tend à disparaître progressivement. Alors oui, il y a les séries, mais est-ce encore réellement de la télé ? Sans même parler de Netflix, la consommation de séries se fait principalement sur internet, en streaming ou en téléchargement. Et les jeunes passent bien plus de temps devant leur ordinateur ou leur smartphone qu'à regarder la télévision. Toi et moi en sommes de parfaits exemples, d'ailleurs. Quand as-tu regardé pour la dernière fois un épisode de série sur un écran de télévision ? (de mon côté, il se trouve que c'était il y a seulement quelques jours, devant la dernière saison de Fais pas ci fais pas ça sur France 2, mais disons que c'est une exception :hap: ).

Cela-dit, il est vrai que l'esthétique des série est encore très télévisuelle (si tant est qu'il existe une "esthétique télévisuelle" -rien que le fait de se poser cette question après 70 ans d'existence de la télé me semble déjà extrêmement problématique par ailleurs) et se répand depuis un certain temps déjà dans le cinéma. Le triomphe de Spotlight aux Oscars est assez révélateur à la fois du phénomène et de son acceptation par les grandes instances du cinéma. Pour autant, je ne crois pas qu'il soit question de frontières à abolir ou non, dans la mesure où je considère la télévision comme une dérivation du cinéma, et non pas comme quelque chose de totalement distinct. Je ne suis donc pas du tout surpris par le pouvoir d'influence des séries, compte tenu de leur popularité, sur la production dite cinématographique.

Mais ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est vraiment internet. Je pense qu'il y a là une nouvelle matière à travailler, et j'y vois la possibilité d'une réconciliation entre la culture et le peuple. Ça rejoint d'ailleurs ce que nous disions plus haut sur la démocratisation du cinéma et de la cinéphilie. Je suis prêt à parier que plus de la moitié des cinéloungiens ont développé leur passion -et par extension leur culture- de façon autodidacte. Internet permet ça, et je trouve ça absolument formidable.

Ludovico : Tout d'abord, j'aimerais rectifier une chose : je ne dis pas que la télé n'a jamais eu autant d'impact que maintenant mais qu'elle est devenue un objet quotidien (je n'ai jamais vu ou presque un appart ou une maison sans télévision). Elle a réussi à "coloniser" notre vie, tout comme le fait depuis quelques années internet. Effectivement, nous appartenons à une génération qui troque volontiers la télévision contre internet, mais notre enfance a été modelée avant tout par la télé, ne serait-ce par le fait qu'internet était pas aussi accessible que maintenant (surtout quand tu habites dans une maison paumée entre 3 champs et une forêt ). Et je reste malgré tout attaché à l'objet "télé" : en dehors des quelques fois où je ne peux squatter la télé et où je dois obligatoirement regarder mon film sur mon ordi, je passe tout sur ma télé (y compris les séries : le dernier épisode que j'ai regardé était le premier épisode de la saison 3 de Penny dreadful sur ma télé ...il y a de ça près d'un an, c'est dire l'importance que j'accorde aux séries malgré certaines qui me hypent bien ).

Ce mode de visionnage, qui passe par le streaming et autres voies plus ou moins légales, n'est pourtant pas si éloigné des principes du vidéo-club ou des films à la demande sur Canal sat qui persistent plus ou moins, exemptés du facteur temps (choper un film en HD, gratuitement, quand tu as la fibre étant beaucoup plus rapide que d'aller chercher ton DVD ou bluray, contre 4 ou 5 €, en centre-ville). Toutefois, cela contribue à une société qui vise de plus en plus le dématérialisé et une certaine abstraction (même si certains objets comme le vinyle redeviennent à la mode) et si cela permet de ressortir du placard des choses oubliées ou peu accessibles en format "physique" (des films, des revues, des albums etc), il ne faut pas oublier qu'"internet contient toute la sagesse et toute la bassesse du monde". Ainsi pour en revenir à Youtube et à la cinéphilie, des films confidentiels ou oubliés y sont disponibles (comme certains films de Piavioli,  de Godard .... ou les nôtres :hap: ), ainsi que des interviews et des conférences sur le cinéma ou les Vlogs de Durendal. Loin de moi l'idée de vouloir kalasher l'ambulance mais c'est un facteur à prendre en compte tout de même, surtout que le dispositif est attrayant en soi : quelqu'un de "banal", pas un critique "cinéphilo-cinéphile réalisateur nouvelle vague" (sic) mais bien un mec que tu pourrais rencontrer au bar du coin (à ceci prêt qu'il a claqué 21 000 balles dans une école, donc c'est normal de le prendre comme autorité, il a "un truc en plus que nous" (sic encore) ), qui raconte face cam son expérience du film. Ce qui pourrait être intéressant si la personne avait quelque chose à dire (puisque je ne vois rien de qui se rattache au "dire" chez Durendal à par, de temps en temps, des appels à la haine tel dans son vlog sur Les Malheurs de Sophie, chef d'oeuvre d'abjection (la critique, pas le film) ou celui d'Adieu au langage), chose que je vois très rarement parmi les youtubers (quel mot horrible !), surtout francophones, même si je t'avoue ne pas avoir pris la peine de chercher "la pépite". Donc oui faut savoir prendre ses distances avec ce qu'on trouve, mais ça vaut pour n'importe quelles "critiques culturelles".

D'ailleurs, que penses-tu de l'état actuel de la critique française ? J'ai l'impression qu'en ce moment c'est un peu la dèche ... Bon j'exagère mais je trouve que les critiques qui s'attachent à ce qu'est vraiment un film sont rares, surtout si l'on prend en compte "l'alignement politique" de certaines revues (suffit de voir les Cahiers du cinéma qui crient au vide politique du cinéma français et s'insurgent contre un film comme Nocturama car ils sont pas d'accord et que la jeunesse "est à Nuit Debout"... même si malgré tout, les Cahiers restent une des meilleures revues ciné actuelles). Et ce problème de la critique devient encore plus problématique lorsqu'on y rajoute les "critiques du web" et le nombre grandissant de "pseudo-critiques" ne font juste qu'une sorte de catalogue "la réalisation est bien, les acteurs jouent bien, c'est pas chiant .... 7/10" 

Melaine : Je ne suis pas très au fait de l'actualité cinématographique à vrai dire, donc je ne me sens pas à même de me prononcer sur l'état de la critique. J'ai été abonné un an aux Cahiers du cinéma (toute l'année 2016) et, si j'ai apprécié certains dossiers (je pense notamment à celui sur Kiarostami et au numéro de l'été), je trouve le niveau des critiques assez déplorable… Pourtant j'ai beaucoup d'estime pour cette revue. Je consulte régulièrement des pages de la "période jaune" (de 1951 à 1964) et de la "période Daney" (de 1973 à 1981), que je trouve très riches et qui ont contribué à la construction de ma pensée sur le cinéma. Mais il est vrai que tous les critiques que j'apprécie n'écrivent plus depuis longtemps. Néanmoins, ce que je viens de dire là témoigne une nouvelle fois des possibilités offertes par internet : il y a dix ou quinze ans, je n'aurais pas pu avoir accès à tout ce contenu. La culture est aujourd'hui à portée de main. Elle n'est sans doute pas suffisamment mise en avant, comme tu le dis plus haut en mentionnant Durendal notamment, mais elle est tout de même là, accessible à un grand nombre de gens. Personnellement je reste optimiste.

Te sachant amateur de musique, j'aurais aimé avoir ton point de vue sur l'apport d'internet du point de vue la culture musicale. Quelles différences y a-t-il (et n'y a-t-il pas) avec le cinéma ?

Ludovico : Tu aurais pu y avoir accès, fallait juste sortir les billets et fouiner dans les brocantes ! :hap:

J'ai l'impression que l'apport d'internet dans le domaine musical est similaire à celui dans le domaine cinématographique : accessibilité des documents (partition, interview, tuto pour apprendre à jouer, ce qui est très pratique quand t'as la flemme ou que tu ne peux pas payer un prof), ressortie d'albums inconnus/perdus que tu paierais une fortune pour l'avoir en physique voire sortie d'album tout court (le nombre de groupes qui ne s'embêtent plus à sortir leurs albums en physique, ou alors en édition limitée juste pour "l'objet"). Après je pense qu'une des différences majeures est le fait qu'il y ait une "musique internet", avec des courants comme la vaporwave, alors que j'ai pas l'impression qu'il y ait de "cinéma internet", excepté les web-séries (mais dans ce cas, peut-on appeler ça du cinéma ?) et les court-métrages amateurs. Mais dans les deux cas, internet a relancé un certain esprit "DIY", une envie de tout faire tout seul avec ses propres moyens, et ce côté débrouillard me plaît assez, même si c'est raté. C'est peut-être aussi ce qui explique ma sympathie envers des réalisateurs un peu UG, qui font le truc dans leur coin avec peu d'argent (en dehors de la qualité des films même) comme Abel Ferrara, qui est devenu en l'espace de quelques mois un de mes réalisateurs préférés, ou même Godard  et Korine d'une certaine manière.

Melaine : Et Jonas Mekas !

Pour poursuivre sur la musique, peux-tu me parler du rapport que tu entretiens avec cet art ? Où et quand est-il né ? Comment perçois-tu le lien entre la musique et le cinéma ?

Ludovico : Sans doute pour Jonas Mekas, enfin je vois ce que tu veux dire mais je ne peux l'affirmer, faute d'avoir vu ses films (ou même un extrait).

A force de parler musique, tu veux que je poste mes morceaux nuls c'est ça ?! :rire:
La musique a toujours eu une importance certaine dans ma vie, ne serait-ce parce que il y avait toujours un morceau de musique qui passait à la maison, que ce soit du Mozart ou du Jazz quand ma mère mettait un CD, ou bien du Nina Hagen et du Pink Floyd quand c'était au tour de mon père. C'est d'ailleurs les disques de mon père qui m'ont le plus marqué, au point de vouloir faire de la guitare, d'abord classique (avec en parallèle l'apprentissage du solfège de mes 5 à 8 ans) puis électrique vers l'âge de 11 ans (sans prof, uniquement avec des tablatures et des magazines) en reprenant d'abord des morceaux que j'aimais bien (du rock et du metal principalement, et pas mal de cold wave) avant de faire, au détriment des oreilles de mes parents, et des miennes, mes propres "morceaux". Depuis septembre dernier, j'ai commencé à faire des morceaux avec des boîtes à rythmes des synthés (notamment grâce à l'ami  Trikou) avec des sonorités plutôt 80's et des samples, provenant généralement de films, pour un projet de "musique pour film imaginaire". Pour l'instant ça donne pas grand chose, surtout que j'ai stoppé ça pour monter Art ist tot. Pour autant, j'ai jamais écouté autant de musique que ces dernières années, surtout depuis le lycée, période correspondant à l'achat de mon installation audio CD/vinyle vintage, d'un stock de vinyles un peu fourni -je dois en avoir près de 80 à l'heure actuelle- et de découvertes importantes -comme je le mentionnais plus haut, comme le Free Jazz (merci Haneke d'avoir pris John Zorn pour la musique), le doom jazz (merci Angelo Badalamenti), la musique industrielle et le metal extrême. 



Roxane Mesquida dans Malgré la nuit, de Philippe Grandrieux



Inconsciemment ou non, la musique est devenue un des éléments auxquels je fais très attention dans un film, notamment l'équilibre image-son qui est un des fondements du cinéma (les films muets étant souvent accompagné par un pianiste ou un orchestre par exemple). Les scènes musicales sont d'ailleurs les passages que je "retiens le mieux "dans les films (comme la scène où Isabella Rosselini chante dans Blue Velvet, lorsque Roxane Mesquida chante dans Malgré la nuit de Grandrieux ou bien la scène dans la boîte échangiste avec le thème d'Assaut de Carpenter dans Love de Noé). Même dans des films nuls, je fais toujours gaffe à la musique parce qu'on peut trouver des trucs sympas (comme le morceau de She wants Revenge dans Le Nombre 23 de Schumacher lors d'une scène très nanardesque ou encore le love theme de Kiss of the damned qui a beaucoup marqué mon pote lors du visionnage), et  à l'inverse, trouver un morceau que j'aime bien dans un film que je déteste peut m'énerver (comme la playlist XXL de Mister Nobody, l'utilisation du duo Nick Cave-Kylie Minogue dans The Lobster ou bien l'ouverture sur du Lou Reed des Beaux jours d'Aranjuez de Wim Wenders). Il y a d'ailleurs des musiques de films que j'écoute très souvent, comme celle de la série et du film Twin Peaks ou celle de The Neon Demon. C'est pour ça que j'ai voulu travailler ce lien musique-image , ou plutôt son-image, dans mon film (et que je continuerai de travailler) parce que ça me semble essentiel d'avoir deux forces aux mouvements différents mais qui travaillent ensemble. Les grands cinéastes sont à mon avis ceux qui ont réussi à trouver cet équilibre : Grandrieux, Korine, Ferrara (qui opére l'une des meilleures utilisation de musique hip-hop que j'ai vu au cinéma, avec Ghost Dog de Jim Jarmush) ou Lynch et Godard, naturellement. C'est pour ça que j'aimerais bien faire du cinéma sur , ou du moins, en collaboration avec des musiciens , et pourquoi faire des musiques de films quand j'aurais le niveau, c'est-à-dire pas tout de suite.


Plan pris lors du dernier concert auquel j'ai assisté : la soirée pour les 5 ans du Hyperdelic Transmanifesto (avec Aurore "Rapport 1984" Gosalbo au centre de la photo, Samuel Antonin à gauche et Paul Grémare à droite))



Et du coup, quel est ton point de vue sur la musique, et son utilisation au cinéma ? Par ailleurs, puisqu'on en vient à des considérations qui dépassent le cadre du cinéma, quels sont les autres choses que tu affectionnes ? Tu disais que tu étais d'abord arrivé sur JVC via le forum foot, est-ce que c'est resté un de tes intérêts ? 

Melaine : J'aime beaucoup la musique, j'en écoute tous les jours et je ne pourrais pas m'en passer (et ce depuis toujours), mais étonnamment je n'ai jamais cherché à creuser, à m'instruire. Je suis curieux, je prends plaisir à écouter ce qu'on me recommande, mais je vais rarement chercher à découvrir de nouvelles choses par moi-même (même si ça m'arrive de temps en temps, forcément). J'ai un rapport très viscéral à la musique, elle est capable de me procurer des émotions extrêmement puissantes (bien plus que le cinéma d'ailleurs) et peut me marquer profondément. C'est comme si elle me donnait accès à mes émotions brutes, sans passer par la pensée. Du coup lorsqu'une musique me plaît je la réécoute en boucle et ne vais pas fouiller ailleurs, puisque celle-ci me suffit amplement. J'ai vu ça un temps comme une forme de fermeture d'esprit, et ai tenté de me forcer à élargir mon champ d'horizon, puis je me suis posé la question « pourquoi écoutes-tu de la musique ? ». La réponse était évidente : pour me faire du bien. Et si ce que j'écoute me fait du bien, je ne vois pas forcément l'utilité d'aller voir ailleurs (cela ne veut pas dire que j'exclue l'ailleurs pour autant). Quant à son utilisation dans le cinéma, je n'ai pas spécialement de point de vue sur la question. Disons que j'aime lorsqu'elle n'appuie pas l'image, mais plutôt qu'elle la complète (ou qu'elle apporte un contre-point). Je suis moins dogmatique que Bresson lorsqu'il dit « pas de musique du tout », même si j'entends et comprends sa position. Récemment, j'ai été frappé par son utilisation admirable dans Il était une fois un merle chanteur, d'Otar Iossellani. J'ai rarement vu une musique faisant autant corps avec l'image.

Oui, j'ai d'autres centres d'intérêt que le cinéma. J'ai déjà parlé de la photographie, qui occupe une place importante dans ma vie. Il y a aussi quelque chose très simple mais que j'aime pourtant profondément, c'est la rencontre. Aller à la découverte d'une personne, d'un être qui ne nous est pas familier, est quelque chose qui m'est très cher. Alors je ne sais pas si c'est réellement un "centre d'intérêt" au sens commun du terme, mais ça rejoint ma passion pour l'auto-stop, que je pratique très régulièrement (je me déplace quasi-uniquement comme ça lorsque je suis seul), et plus généralement le voyage. Je pense que c'est aussi ce qui m'amène à venir sur des sites tels que JVC et CineLounge (et à prendre beaucoup de plaisir à lire les interviews sur le site !).

Je me suis complètement désintéressé du football, mais ça longtemps été ma grande passion. Ma façon de l'appréhender n'était d'ailleurs pas très courante… J'ai (profondément) aimé ce sport un peu à la manière d'un critique d'art, si je puis dire : seule comptait pour moi l'esthétique. Je me disais fan de l'Olympique de Marseille et de l'Udinese Calcio, mais je n'ai jamais été un fervent supporter. Ce qui m'intéressait, c'était surtout l'aspect tactique du football. J'aimais me questionner sur la manière dont un entraîneur parvenait à créer une alchimie entre ces différents corps en mouvement, et me demandai quelle place pouvait occuper le ballon au milieu de tout ça. Car il faut savoir qu'il y a différentes écoles tactiques dans le football, et certaines analyses sont très intéressantes de ce point de vue-là. Personnellement, j'aimais tout particulièrement la façon de faire d'Arrigo Sacchi, l'entraîneur de l'AC Milan de la fin des années 80/début des années 90. Il était une sorte de descendant du football total tel que le pratiquait l'Ajax Amsterdam au début des années 70, tout conservant l'héritage italien du catenaccio et la rigueur qui va avec. Il y a une phrase de Sacchi que j'aimais beaucoup à l'époque : « au football, c'est le ballon qui doit courir, pas les joueurs ». C'est très simple mais pourtant loin d'être évident.

N'étant pas tellement intéressé par le suspens, je regardais régulièrement de vieux matchs (dont je connaissais déjà le résultat évidemment) pour le simple plaisir esthétique. J'ai du voir quatre ou cinq fois France – Brésil 86, qui est de loin la plus belle partie de football que j'ai pu admirer. J'étais à chaque fois très impressionné par Socrates, le milieu brésilien, qui a atteint là un niveau d'intelligence de jeu que j'ai rarement revu depuis. Presque chacun des ballons reçus ou interceptés est redonné proprement en une touche de balle ; son placement défensif comme offensif est toujours extrêmement rigoureux, en plus de servir de plaque tournante à son équipe… Et le plus incroyable, c'est qu'il ne courait presque pas ! Il aurait probablement fait des merveilles s'il avait joué pour Sacchi… Cette équipe-là du Brésil est clairement l'une des plus belles de l'histoire, même si elle n'a jamais remporté le moindre trophée.


Socrates lors de France - Brésil 86



Je pense que ce n'est pas un hasard si je me suis désintéressé du football au moment où j'ai découvert le cinéma. Je ne m'en rendais pas compte en le vivant, mais après coup je trouve que mon rapport au football était très proche de celui que j'ai pu entretenir avec le Septième Art au début de ma cinéphilie. Aujourd'hui, le football ne m'intéresse plus du tout (le dernier match que j'ai vu étant la finale de l'Euro en juillet dernier), mais lorsque j'en viens à en parler à nouveau, c'est toujours avec passion ! De toute façon, je pense que le sport, si on le questionne, a beaucoup à nous apprendre.

Ludovico : Un peu comme n'importe quelle chose en fait !

Et avant qu'on ne diverge un peu trop, je pense qu'il est temps de conclure dorénavant ! Et puisque j'ai pris le soin de commencer, je te laisse le mot de la fin ! 

Melaine : Salut.


Commentaires
24/02/2017 20:02:45
Un grand merci à tous les deux pour ce long échange. Le côté dialogue tranche agréablement avec l'aspect unidirectionnel des interviews précédentes.

On a là le droit à des débats très théorisés sur le cinéma et l'art en général. Plus jeune, j'avais aussi tendance (mais pas autant que vous deux) à théoriser le cinéma et mon rapport à lui. Mais, avec le temps, j'ai l'impression que plus mon rapport au cinéma est simple et non-réfléchi, meilleur il est.
24/02/2017 21:43:33
Bah faut pas que le rapport au cinéma déteigne sur le rapport au film.

J'ai lu un truc de P.Schaeffer sur la concrète cet aprèm', il disait que pour qu'il y ait expression de la musique il fallait une compatibilité du langage (entre l'auteur et l'auditeur) et une démarche relativement simple pour construire ET pour percevoir l'objet.

Je pense aussi qu'il faut garder un rapport assez naïf avec l'oeuvre d'art mais que théoriser sur l'art à côté ne va pas nécessairement à l'encontre de ça.
24/02/2017 21:46:35
tadanobu a écrit :Un grand merci à tous les deux pour ce long échange. Le côté dialogue tranche agréablement avec l'aspect unidirectionnel des interviews précédentes.

On a là le droit à des débats très théorisés sur le cinéma et l'art en général. Plus jeune, j'avais aussi tendance (mais pas autant que vous deux) à théoriser le cinéma et mon rapport à lui. Mais, avec le temps, j'ai l'impression que plus mon rapport au cinéma est simple et non-réfléchi, meilleur il est.


Merci à toi pour la publication et pour ton retour. :-)

Justement l'idée de Ludovico était de proposer quelque chose de différent sur la forme, qui soit davantage un échange. Et c'est vrai que ça fonctionne plutôt bien je trouve (au début nous essayions de trouver des transitions convenables puis au fil de la discussion elles sont venues naturellement).

Pour ce qui est de la théorisation, comme je le dis un peu dans l'entretien mon rapport au cinéma n'a jamais été aussi fort et aussi "intérieur" qu'aujourd'hui, et je pense regarder un film de façon bien moins "cérébrale" qu'avant justement. Mais c'est vrai que Ludovico et moi aimons aussi beaucoup nous questionner (sur les films, mais aussi sur le cinéma, son sens, ses possibilités, ses spécificités, etc). Je pense que la simplicité et le côté "direct" du rapport peut s'accorder avec la réflexion, et même que les deux se nourrissent mutuellement. Le tout est de laisser la place aux deux, et de ne s'enfermer ni dans le "tout cérébral" qui annihile l'émotion, ni dans le "full ressenti" qui fuit la pensée. Cela-dit, tout ça peut (et va probablement) évoluer pour lui comme pour moi en fonction de nos parcours de vie respectifs.
24/02/2017 21:52:56
Moriarty puisqu'apparemment tu as des choses à dire à propos de cet entretien, je t'invite à venir les partager ici. :-)
24/02/2017 23:11:43
Grosse faute de ma part à la fin du premier paragraphe. Je voulais dire "retourner la question" et pas l'"appareil".
27/02/2017 11:31:52
Je garde ça sous le coude ! :)
02/03/2017 19:20:48
Tadanobu Merci pour ton commentaire ! Effectivement, j'ai tendance, et Melaine un peu aussi, à théoriser (surement l'influence de mes études) , cependant j'ai pas l'impression que c'est une prise de tête et que ça empiète sur mon rapport au cinéma. Et le fait de "vouloir faire discussion" était vraiment important pour l'entretien, au détriment de la concision sans doute .
Par ailleurs, j'ai vu que tu avais vu Art ist tot, j'attends ta réponse (vu que je t'ai demandé ce que tu en as pensé sur la fiche mais tu as probablement oublié , ou pas envie de répondre :hap: ) :hap:
Dimitri L'avoir sous le coude c'est bien, mais vaut mieux l'avoir sous les yeux pour la lire :oui:Message édité
06/03/2017 00:02:26
Et pour le coup Mélaine, ça aurait été "la pareille" et non "l'appareil" ;)